Muriel, enfant perdue (Episode 2)

Auteur : Maurice Coutot - Texte extrait "Ces héritiers que je cherche" - Edition Robert Laffont

Muriel est-elle une enfant abandonnée jadis par sa mère ? C'était possible, probable même.

Où est-elle née ? Sous quel nom a-t-elle été déclarée ? Enfin, qu'est-elle devenue depuis quarante ans ?

C'est la réponse à toutes ces questions qu'il me faut fournir, et l'affaire ne peut guère attendre puisque le juge de Cincinnati va, d'ici quelques semaines, faire mettre en possession l'ambassadeur et la femme du médecin dont la parenté ne prête pas à discussion.

Je ne décourage pas mon interlocuteur.

Je précise :

Il part, me laissant son adresse à Cincinnati. Je reste avec la lettre. Il faut extraire la vérité de ce bout de papier jaunit. La fortune d'une enfant abandonnée est à ce prix.

J'aime déjà Muriel et, dans mon imagination, je recrée la scène de la présentation…

Je tourne et retourne la lettre... Enfin je me fais apporter l'indicateur des chemins de fer de 1921.

"Combien de kilomètres pouvaient faire en 3ème classe, pour vingt francs, deux personnes adultes, au tarif de l'époque ?"

La réponse est : 120 kilomètres.

Je pense que la tante a dû un peu arrondir le montant des frais au chiffre supérieur et que Muriel est sa patronne ont dû parcourir, pour venir à Paris et s'en retourner, une distance de 50 à 60 kilomètres.

Le problème se rapporte alors à ceci : trouver à environ 50/60 kilomètres de Paris une localité assez importante pour que s'y soient établies des maisons de commerce et pour que la jeune Muriel et sa patronne aient pu la quitter par le train sans attirer l'attention de la mère nourricière ; il y faut aussi parmi ses habitants la conjonction des deux patronymes "Forget et Demay" et d'un prénom "Muriel". Les dames Forget et Demay sont d'âges incertains, mais Muriel, à qui sa tante donne du chocolat et un chandail, et qui ne vient à Paris qu'accompagné de sa patronne, devait avoir en 1921 seize ou dix-sept ans.

Je commence à y voir plus clair. L'examen des recensements de population de l'époque, versés aux archives départementales, doit fournir d'utiles renseignements.

Alors, avec un compas et une carte des environs de Paris, je décris deux cercles dont le centre est à Notre-Dame. L'un de soixante et l'autre de cinquante kilomètres de rayon. Je relève les noms de toutes les localités d'importance grande ou moyenne se situant dans la zone définie par ces deux circonférences. J'en trouve plusieurs centaines. Il faut passer au crible tous leurs habitants de 1921.

Dès le lendemain, quatre de mes secrétaires attaquent le travail au chefs-lieux de tous les départements concernés.

Huit jours plus tard, un coup de téléphone annonce le succès probable : au recensement de Dourdan, on trouve en 1921 une famille Forget et une famille Demay. Et chez la dame Demay un enfant de sexe féminin , nommé Muriel Philipson, seize ans. Nous courons aussitôt à Dourdan.

Quarante ans ont passé. Que reste-t-il de tout cela ?

Eh bien, il reste une femme de soixante-dix ans, fille de Mme Demay :

Catastrophe ! Au moment où tout semble devoir s'éclairer, ne trouveront nous qu'une tombe au bout de nos peines ?

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