Muriel, enfant perdue

Auteur : Maurice Coutot - Texte extrait "Ces héritiers que je cherche" - Edition Robert Laffont

- Pouvez-vous résoudre mon problème à l'aide de ce seul document ?

Nous sommes en 1960. L'homme qui m'interroge vient de Cincinnati. Il me consulte sur la recommandation du consulat américain. Dans sa main une lettre, une lettre vieille de quarante ans.

Il m'apprend qu'il administre judiciairement la succession laissée par une riche veuve, Mrs. Handler, morte l'année précédente.

Se présente pour la recueillir : un frère, ancien ambassadeur du grand-duché de Luxembourg, et une soeur, épouse d'un médecin de Francfort, ses plus proches parents, à défaut de descendant direct.

Mrs. Handler, née Marie-Thérèse Jentjen, Mariette pour les intimes, était originaire du Luxembourg. Tentée par le théatre, elle avait, pendant la première décennie de ce siècle, essayé de s'y faire une place. Fort séduisante, non dépourvue de talent, elle avait obtenue quelques succès qui l'avaient promenée à travers l'Europe.

Venue en Amérique en 1905 à l'occasion d'une tournée, elle avait mis fin volontairement à une carrière incertaine en épousant un riche industriel de l'Ohio, Mr. Handler, conquis par sa beauté.

Aucun enfant, malheureusement, n'était né de cette union et Mrs. Handler avait vivement ressenti cette infortune.

La tendresse et la bonté de son marie n'avait jamais pu la consoler d'un chagrin que leur entourage trouvait excessif.

En 1955, Mr Handler était mort, lui léguant tous ses biens.

Elle mourait à son tour en 1959, sans avoir fait de testament. Sa succession devait donc aller à ses plus proches parents, un frère et une soeur puisqu'elle n'avait pas eu d'enfants.

L'administrateur, planté en face de mon bureau, scrute mon visage avec inquiétude. Il est apparent que je suis son dernier recours.

Il allait remettre la succession au frère et à la soeur lorsqu'en compulsant les papiers laissés par Mrs. Handler une lettre avait retenu son attention.

Elle était datée à Paris, du 10 mai 1921. Elle émanait d'une soeur, depuis longtemps décédée sans postérité, qui habitait alors 5 avenue d'Iéna.

Cette lettre, qu'il me tend, est en effet troublante. En voici le texte écrit en français :

Ma chère soeur,

Enfin, j'ai pu voir Muriel. Je l'ai fait venir chez moi avec sa patronne, Mme Forget, mais en cachette de sa mère nourricière, Mme Demay.

C'est une jolie fille, dont les yeux sont semblables aux tiens. Sa patronne est contente de son travail de couture et paraît bien l'aimer. Je ne lui ai pas dit qui j'étais, mais seulement l'amie d'une tante d'Amérique. Je lui ai demandé si elle aimerait venir plus tard aux U.S.A. Après avoir regardé Mme Forget, elle n'a pas dit non, mais paraissait craintive à l'idée d'un tel voyage. Je lui ai donné du chocolat et fait cadeau d'un joli chandail jaune qui lui allait fort bien. Enfin, je leur ai remis 20 francs pour rembourser leur voyage.

Tu me diras si je dois faire d'autres démarches.

Ta soeur affectionnée,

Edith.

 

Suite